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Interview avec Hind EL AYOUBI, conservatrice adjointe au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain à Rabat

Interview réalisé par Elisabeth Piskernik

Le 7 octobre 2014, le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) à Rabat a ouvert ses portes avec une exposition inaugurale intitulée « 1914-2014 Cent ans de création ». Crée à l’initiative de Sa Majeste le Roi Mohammed VI, le musée veut s’inscrire dans la politique royale visant à doter le pays d’équipements culturels de haut niveau et accessibles à tous.
Quels sont les défis d’une telle institution, quels sont les projets futurs ? Et comment le Musée pourra enrichir le paysage culturel du pays et participer à la democratisation de l’art au Maroc ?
 
Elisabeth Piskernik: Le Musée Mohammed VI est le premier Musée au Maroc dédié entièrement à l’art moderne et contemporain. Quelle est la volonté fondatrice de ce projet ?

Hind El Ayoubi: Ce projet est né à l’initiative de sa Majesté le Roi Mohammed VI et s’inscrit dans le cadre d’une politique royale qui vise à développer les équipements culturels du pays en le dotant d’infrastructures de haut niveau. La construction du MMVI est un acte historique fort et il cumule à lui seul plusieurs premières : il est non seulement le premier musée national d’art moderne et contemporain au Maroc, mais aussi le premier musée édifié en tant que tel depuis l’indépendance du Maroc et le premier musée construit dans le respect des normes muséales internationales.

Son objectif est clair : créer les conditions de conservation et de diffusion de notre patrimoine artistique, tout en encourageant la création contemporaine dans le but d’œuvrer pour la démocratisation et l’épanouissement culturel.

EP: L’inauguration du Musée est marquée par une grande exposition temporaire des artistes marocains. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les artistes présentés, la procédure de sélection, les œuvres montrées ?

HEA: La Fondation Nationale des Musées a mandaté Mohamed Rachdi pour monter une exposition ambitieuse qui retracerait l’histoire de la création moderne et contemporaine marocaine, sous le titre : 1914-2014 « Cent ans de création marocaine». Pour cette exposition, le choix du Commissaire s’est porté sur la présentation d’artistes de nationalité marocaine uniquement, probablement dans un souci de limitation du champ d’investigations et sans nul doute afin d’ancrer le Musée dans sa marocanité. C’est en portant un regard sur soi que nous pouvons sans peine approcher l’autre pour pourvoir enfin transcender cette question identitaire. D’ailleurs les artistes marocains ont toujours su s’alimenter d’influences multiples et l’empreinte de cette diversité se retrouve dans leurs œuvres.

Cette exposition inaugurale propose donc un panorama historique dans lequel les productions des artistes sont présentées comme de véritables marqueurs chronologiques. Quelle œuvre était la plus représentative de son époque ? Qu’a-t-elle apporté d’innovant dans son contexte historique ? Que raconte-t-elle de spécifique ? … A travers le prisme de ce questionnement un certain nombre d’œuvres a été sélectionné par le Commissaire afin de présenter une exposition qui représenterait au plus juste les revendications tant réelles que symboliques inhérentes au contexte historique auquel chaque époque est confrontée.

Les œuvres ainsi choisies sont pour la plupart des œuvres rarement exposées voire quasiment inédites. Une vaste campagne de prospection tout azimut a été mise en place afin de dénicher les travaux que souhaitait présenter le Commissaire. Cette exposition est dans sa quasi-totalité, à l’exception de certains dons, issue de prêts d’institutions, de particuliers et d’artistes.

EP: Selon quels critères la collection a été constituée et quel est son profil ?

HEA: Le MMVI ne possède pas de fonds à l’heure actuelle. Cependant cette lacune peut s’avérer être un véritable atout dans la mesure où elle nous permettra de constituer une collection d’œuvres d’art muséale de qualité, en effectuant des choix pertinents consentis par le recul historique nécessaire. Il va sans dire qu’il nous faudra mettre en place une politique d’acquisition irréprochable, avec la création d’un comité constitué de personnes compétentes dans le domaine muséal.

Bien que notre politique d’acquisitions ne soit pas définitivement arrêtée, nous pouvons toutefois penser que l’exposition inaugurale 1914-2014 « Cent ans de création », peut fournir une bonne base sur laquelle axer notre future collection, à savoir porter l’intérêt de nos acquisitions sur ce canevas et privilégier les œuvres à valeur historique.
 

Nous privilégierions donc dans un premier temps les pièces historiques sans toutefois omettre de tabler sur la création contemporaine, car ne l’oublions pas la création d’aujourd’hui constitue le patrimoine de demain. Enfin, bien que l’exposition inaugurale ne concerne que la production d’artistes de nationalité marocaine, notre collection ne pourra bien évidement pas se limiter à la production strictement marocaine et devra s’ouvrir à l’internationale.

EP: Qu’est qui est programmé à l’avenir ? Des expositions ? Des projets ?

HEA: L’exposition inaugurale est programmée pour une durée minimale de 6 mois afin de laisser le temps à l’équipe du Musée de mettre en place sa programmation. Nous pouvons toutefois d’ores et déjà vous dévoiler les grandes lignes de notre programmation future : Dans l’objectif de mieux connaitre et faire connaitre au grand public la production moderne et contemporaine, il conviendra d’organiser des expositions collectives et monographiques, sans omettre les expositions consacrées aux nouvelles explorations artistiques. Nous projetons également, dans une volonté d’ouverture, de monter ou d’accueillir des expositions d’artistes étrangers de renommée internationale.

Toujours dans le but de contribuer activement à une meilleure connaissance de l’art moderne et contemporain, des activités annexes faites de tables-rondes, de rencontre-débats et de conférences éclaireront davantage le champ de perception de nos thématiques de prédilections, en y conviant des conférenciers spécialistes du domaine et de véritables professionnels du monde de l’art. Notre objectif étant de construire une réflexion solide et approfondie de l’histoire moderne et contemporaine de la production artistique, non seulement au sein de nos frontières mais aussi au-delà.

Nous souhaitons également élargir notre programmation en l’ouvrant aux autres formes d’expressions artistiques qui dépassent le strict domaine des arts plastiques et visuels, en proposant à notre public des représentations théâtrales adaptées à notre espace qui pourraient prendre la forme de fragments. Nous proposerons aussi des lectures de poésie ou encore des projections. Ces propositions ne sont pas exhaustives, notre champ d’intérêt se portera sur toutes les pratiques ayant un lien avec l’art, ainsi l’architecture, les arts appliqués, la musique trouveront aussi naturellement leur place dans notre agenda culturel.

Enfin, l’action éducative reste au cœur de nos préoccupations, une convention de partenariat avec le Ministère de l’Education est en cours et nous travaillerons en étroite collaboration avec les écoles et le secteur associatif, afin de proposer au jeune public des activités éducatives et ludiques adaptées à leur âge. L’éveil et la sensibilisation à la création artistique et à la connaissance du patrimoine culturel moderne et contemporain étant au centre de nos missions.

EP: Une institution telle que le Musée a une place particulière dans la vie culturelle et par conséquent un rôle à jouer dans la société civile marocaine. Comment définissent les responsables la mission du Musée auprès de la population marocaine ? Quelles sont les stratégies appliquées pour une transmission culturelle et une prise de conscience pour l’art, soit Moderne ou Contemporain ?

HEA: Conscients de l’importance de nos missions et du travail de sensibilisation qui nous attend, nous mettons en place un certain nombre de fondamentaux susceptibles de faire évoluer les conditions de productions du désir de culture. Ma formation d’ethno-archéologue m’a appris qu’il n’existait pas de sociétés humaines, de cultures sans productions, sans création artistique, de la même manière il ne peut exister de créations artistiques sans culture …Il n’y a pas d’éducation sans culture. C’est pourquoi l’éducation artistique et culturelle tout au long de la vie est un enjeu déterminant pour la construction d’une politique culturelle publique.

Ainsi au-delà de nos missions spécifiques de conservation, de promotion et de diffusion, le MMVI se fera la vocation d’être un véritable lieu de création et de transmission grâce à des projets culturels exigeants et créatifs. Nous ambitionnons, grâce à cela, de toucher tous les publics issus de toutes les classes sociales, dans une volonté de démocratisation culturelle qui se veut fédératrice autour de valeurs communes et d’une histoire commune.

Pour atteindre cet objectif, un travail important de médiation sera entreprit par notre équipe afin que chaque visiteur trouve naturellement sa place dans notre musée Nous effectuerons pour cela un travail de ‘vulgarisation’ en revoyant le contenu des supports de communication afin de favoriser l’accessibilité au plus grand nombre et nous éloigner autant que faire se peux du discours des milieux culturels qui sont trop souvent clos sur mêmes et qui peut fonctionner comme une machine à exclure. Dans la même veine et toujours dans un souci de proximité avec notre public, nous irons à sa rencontre avec des outils d’investigations adéquats qui nous permettront d’être à son écoute en lui proposant des enquêtes constamment réévaluées en fonctions de ses attentes. Enfin, pour rendre l’institution plus accessible à un large public, nous appliquerons une politique tarifaire différenciée et adaptée à tous.

EP: L’infrastructure culturelle, surtout dans le secteur de l’art contemporain, au Maroc reste assez limitée. Y-aura-t-il des coopérations prévues entre le Musée et des partenaires locaux afin de rassembler les synergies et faire évoluer la scène culturelle locale ? Quel pourrait être un modèle de coopération ?

HEA: Notre musée en tant qu’institution culturelle importante de la Capitale s’insérera en effet dans un tissu urbain complexe dans lequel cohabitent déjà plusieurs structures culturelles et artistiques de nature publique et privée. De par notre rôle, nous serons amenés à occuper une position centrale dans l’offre culturelle et nous devrons bien évidemment penser nos programmations de manière commune en travaillant main dans la main, afin de proposer des programmes culturels ciblés, cohérents et attractifs. Pour cela nous devrons fédérer ces acteurs culturels autour de nos projets et coordonner au mieux nos programmations dans un but commun : participer au bon rayonnement de la scène artistique et culturelle.

Nous ne pourrons donc nous passer de ce solide réseau de partenaires culturels mais pas seulement, nous pensons aussi à élargir ce réseau en impliquant les structures associatives, les écoles, les prisons, les hôpitaux …nous sommes ouverts à toutes les propositions de partenariats nous permettant d’élargir notre rayonnement afin de toucher le plus grand public possible. Dans cette optique, le concept du musée hors les murs est une façon d’aller à la rencontre des différents publics, a cette occasion, le musée sort exceptionnellement de ses réserves des œuvres majeures appartenant à ses collections et les expose dans différents lieux, des expositions itinérantes constituées de fac-similés également peuvent être un bon moyen d’extension de notre champ d’activités. N’oublions pas que le principal problème des musées c’est leur morphologie intimidante, de par leur architecture même ils installent d’emblée une distance avec le citoyen lambda. Ces démarches permettent de démolir ce présupposé de base en désacralisant la bâtisse en elle-même, et cela par son appropriation par tous dès leur plus jeune âge.

 

(Interview réalisé par Elisabeth Piskernik, directrice de l’espace d’art Le Cube – independent art room à Rabat, historienne d’art et curator independante)

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