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L’Institut National des Beaux Arts de Tétouan

Par Bérénice Saliou

"Les beaux-arts de Tétouan, c’est un peu comme si on faisait la course tous seuls et qu’on arrivait premiers !" s’exclame en souriant Abdelkhrim Ouazzani. Après vingt ans à la tête de l’unique établissement national d’enseignement artistique supérieur au Maroc, l’homme qui se déclare davantage artiste que directeur, a annoncé son départ officiel à la retraite le 7 Février 2014, jour de ses soixante ans.

Mohamed Chabaa, Saad Ben Seffaj, Ahmed Ben Yessef, Said Messari, Faouzi Laatiris, Hassan Echair, Ilias Selfati,Younès Rahmoun, Safaa Erruas, Bathoul S'himi, Amine El Gotaibi, Mohamed El Mahadaoui, Mohamed Arejdal…. la liste des jeunes ou moins jeunes diplômés de l’INBA ayant fait carrière est longue. Créé par le peintre Mariano Bertuchi sous le protectorat espagnol en 1945, l’Ecole des Beaux Arts de Tétouan avait à l’origine pour but de distraire les femmes des militaires espagnols. En 1957, sous l’indépendance, l’actuel bâtiment fut inauguré par le roi Mohamed V qui nomma à sa tête Mohamed Sarghini ; un nom qui résonne encore dans les esprits des Tétouanais. Premier marocain directeur de l’INBA, Sarghini forgea la renommée de l’école en calquant ses enseignements sur le modèle espagnol, avec des professeurs marocains qui dispensaient des cours majoritairement techniques. Une situation qui perdura jusqu’à l’arrivée de Abdelkhrim Ouazzani, revenu aux Beaux Arts de Tétouan après une formation à l’atelier Yankel à Paris. Il raconte : "Quand je suis rentré de Paris, j’avais envie de tout changer. J’ai voulu arrêter les cours d’anatomie et de perspective. J’étais en révolte contre ce système classique. Je ne voulais plus de ce rapport directeur/élève. Avec Sarghini, nous avons créé le cours de rédaction plastique. Il s’agissait d’un cours d’analyse d’œuvres, totalement improvisé. En arrivant le matin, on ne savait pas ce qui allait advenir. C’était un atelier, un véritable laboratoire. On découvrait au fur et à mesure, comme sur une toile blanche. C’était frais, on s’amusait. C’était le bonheur."

Aujourd’hui, cette atmosphère de souplesse un brin déstructurée règne encore à l’INBA qui compte trois départements : Arts plastique, Design graphique et BD/ Film d’animation. Les cours aux horaires quelque peu aléatoires se dispensent au sein des ateliers suivants : sculpture, espace et volume, peinture, dessin, arts graphiques, gravure, film d’animation 3D et céramique, nouvellement créé. Les étudiants, au nombre de 120, soit 30 nouveaux arrivants par an, sont triés sur le volet. A la question des critères de recrutement, l’artiste et professeur de design graphique Hassan Echair répond : "Le critère de recrutement des étudiants à l’INBA, c’est qu’il n’y a pas de critères, puisqu’il n’y a pas de politique culturelle claire au Maroc. On ne sait pas vraiment ce que le ministère attend de nous, donc on sélectionne les futurs étudiants en fonction de leur sensibilité. Pour moi la motivation est très importante, l’envie. Je ne suis pas intéressé par ce qu’ils savent, mais par ce qu’ils vont apprendre. En tant qu’enseignant, je forme des caractères qui sont capables d’aborder la création d’un point de vue personnel."

C’est en effet l’envie qui permet aux Beaux-Arts de Tétouan de tenir le cap, car malgré un bâtiment somme toute spacieux, un jardin agréable et une quarantaine d’ordinateurs connectés en wifi, l’école manque cruellement de moyens. Professeurs et vacataires sous-payés, absence de budget permettant la venue d’intervenants professionnels, manque criant de fournitures, bibliothèque quasi vide et étudiants travaillant avec ordinateurs, caméras et appareils photos personnels…le standard de l’enseignement artistique international semble bien loin. Hassan Echair précise : "Nous n’avons pas de budget pour aller au bout des choses. Les étudiants s’autofinancent et c’est très difficile. Par ailleurs, avec plus de 36 millions d’habitants, une importante diversité culturelle, 6 langues régionales et une richesse incroyable au niveau artisanal, le Maroc ne compte qu’une seule école nationale des beaux arts. Il devrait y en avoir d’autres pour nous permettre d’étudier notre propre culture, que ce soit arabe, berbère ou cette fenêtre que nous avons ouvert vers l’Europe." Un point que vient corroborer Abdelkhrim Ouazzani, qui ne mâche pas ses mots : "Le problème c’est que l’INBA est la seule école nationale d’art du Maroc. C’est une honte que le diplôme dispensé par l’école de Casablanca ne soit pas reconnu et que la municipalité ne fasse rien pour cette école !"

Malgré une complexité de fonctionnement indéniable, l’INBA compte quelques beaux partenariats avec l’étranger et le secteur privé. Ainsi, c’est grâce à un accord de coopération avec la région Wallonie Bruxelles qu’est né le département de BD. L’école accueille depuis huit ans deux artistes de la commune de Tolède par an pour des résidences de cinq mois, et est liée à de grands groupes industriels tels Jacob Delafon ou Renault par le biais de conventions permettant l’attribution de bourses à des étudiants. Ainsi, la recette semble fonctionner et l’INBA contribue tous les ans à former de futurs artistes dans cet esprit d’indépendance qui fonde sa spécificité.

Après avoir assisté l’artiste Seamus Farell pendant plusieurs années et passé plusieurs mois à la Cité Internationale des Arts à Paris, Mohssin Harraki prépare actuellement une exposition en duo avec Joseph Kosuth à la galerie Imane Farès à Paris. Il raconte : "J’ai passé 7 ans à l’INBA, dont 4 à essayer d’y entrer ! La première année, je faisais de la peinture puis c’est en 3ème année grâce à des professeurs comme Faouzzi Laatiris et Younès Rahmoun que j’ai compris que la peinture n’était pas pour moi. En 4ème année, je suis parti faire un stage de 6 mois aux Beaux Arts de Toulon, puis je suis revenu passer mon diplôme à Tétouan. Il n’y avait pas grand monde ce jour-là, Faouzzi, quelques étudiants… L’INBA, c’est avant tout des murs, c’est-à-dire un lieu qui rassemble plein de gens venus des quatre coins du Maroc. C’est une chaleur, une énergie positive. Il y a bien sûr quelques informations qui passent mais ce qu’il y a de primordial, c’est l’espace, le partage et une certaine liberté que l’on ne trouve pas ailleurs. Les époques passent à l’INBA, mais ce qui est très important pour moi, c’est d’avoir été là en tant qu’étudiant."

Un lieu ouvert et chaleureux, situé à l’écart de Rabat et de sa bureaucratie, où l’on vient de loin pour expérimenter, se rencontrer et se sentir libre de créer comme on l’entend. Un espace que l’on aime, où les profs et les intervenants ne viennent pas travailler pour de l’argent et où l’on ne sait pas toujours ce que l’on vient y chercher. Certains embrasseront une tout autre carrière, d’autres travailleront dans la pub, d’autres enfin seront artistes… En Février, avec le départ du directeur, c’est une nouvelle page qui se tourne. Et si l’on souhaite à l’INBA peut-être un peu plus de structure et sûrement beaucoup plus de moyens, on lui souhaite surtout de veiller à conserver sa spontanéité, son esprit de partage et ce souffle de liberté.

 

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